Un portrait de notre chatte, Penny Lane, paru dans la Revue Véganes numéro 2, automne hiver 2017
D’aussi loin que je me souvienne, j’ai presque toujours vécu en compagnie de chats. Petite fille grandissant à la campagne, les chats étaient partout, ils étaient chez eux. Ils passaient d’un jardin et d’une maison à l’autre, le chat du voisin venait souvent faire un tour dans notre salon tandis que le nôtre n’hésitait pas à aller s’empiffrer chez la voisine. Parfois ils mourraient et quelques mois après, un autre chat faisait son entrée dans notre vie, recueilli errant dans la rue, ou adopté chez des amis. Nous vivions tous en bonne camaraderie, à ceci près que, campagne oblige (j’imagine), nous considérions les chats comme des animaux à demi-sauvages, c’est-à-dire des animaux qui vivent leur vie, qui n’ont pas vraiment besoin d’être stérilisés, vaccinés. Simplement, ils étaient là, ils vivaient leur vie à nos côtés ou plutôt ils vivaient la vie que leur offrait le hasard des maladies, de la génétique et des chauffards, celui de la chance et de la malchance, de la nature. Il ne venait à l’idée de personne de les protéger. C’était un échange de bons procédés : nous leur proposition de la nourriture et un toit, ils nous offraient quelques câlins et un peu de compagnie.
Quand Martin et moi avons quitté Paris pour Nantes, triplant au passage notre surface vitale, nous avons eu envie de la partager avec un chat. Nous avons adopté une petite chatte grise de quelques mois. Penny Lane. Vers l’âge de deux ans, elle s’est soudain mise à aller mal. Vomissements, perte d’appétit, de poids et d’énergie. Après quelques visites chez le vétérinaire, nous avons appris qu’elle souffrait d’une maladie grave etrare chez le jeune chat : l’insuffisance rénale, sans doute due à une malformation du rein. Son espérance de vie était faible, quatre ou cinq ans tout au plus, nous avait dit notre vétérinaire excentrique. Penny Lane devait suivre un régime alimentaire spécial et prendre un médicament quotidiennement. Alors nous nous sommes renseignés sur sa maladie, nous avons acheté de la nourriture adaptée, nous lui avons donné son médicament, nous avons appris à repérer les premiers signes de déshydratation. Elle était malade et nous prenions soin d’elle. Par chance, nous avions les moyens de le faire sans que cela soit un problème.
Cette maladie m’a révélé quelque chose de la singularité de notre chatte. Elle n’était plus un chat dans mon continuum de chats, elle était Penny Lane, un individu. Elle était une chatte vive et amicale, mais aussi très indépendante, elle était bavarde, elle aimait boire au robinet de la baignoire au petit matin, marcher sur le rebord du balcon (jusqu’à ce qu’on le protège après qu’elle se soit blessée en tombant), dormir sur le dossier du canapé et dans le lavabo, se doucher, prendre le train. Et elle était certainement aussi entêtée que Martin et moi réunis.
Entre deux crises, Penny Lane allait très bien. Mais régulièrement tout se détraquait, ses taux d’urée explosaient, elle perdait ses forces, se déshydratait et nous devions la laisser le coeur lourd passer quelques jours sous perfusion chez le vétérinaire. Chaque fois le diagnostic était plus pessimiste, les taux d’urée dangereusement plus élevés, la rémission moins probable, chaque fois on nous préparait à sa mort imminente, chaque fois elle retrouvait sa vigueur admirablement vite et bien.
Elle est morte le 30 décembre dernier, à notre retour de vacances, quelques semaines après une nouvelle crise dont elle s’était encore une fois contre toute attente bien remise. On l’a enterrée dans notre jardin, au pied d’un pommier qu’on a planté cet automne.
La vétérinaire lui avait prédit cinq années tout au plus, elle a vécu cinq ans et demi, juste assez pour que l’on n’oublie pas sa personnalité, son esprit de contradiction et son envie de vivre.