La vie intérieure des bibliothèques

J’achète pas mal de livres. Parce que j’en entends parler, parce que je lis quelque chose à propos d’un livre, parce que je m’intéresse à un sujet, une thématique, parce qu’ils résonnent soudain à mon oreille, parce que je les croise sur un étal de librairie. Je ne suis pas vraiment les rentrées littéraires, je lis rarement les livres au moment de leur sortie, je cherche plutôt les petits ouvrages étranges que les classiques et les grandes références. Je commence beaucoup de livres et j’en finis peu, je me lasse vite. Je ne suis pas une lectrice très fidèle.

J’achète aussi souvent des livres que j’oublie ensuite. Je les égare sur une étagère, je ne trouve pas le temps de les lire, ou je perds l’intérêt qui m’avait fait les acheter, happée par un autre livre. Et puis, j’y reviens un jour. Parfois très longtemps après. C’est un peu ce qui est arrivé à ces deux livres.

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J’ai acheté le premier il y a une dizaine d’années, après avoir lu un autre essai de David Le Breton, La peau et la trace, que j’avais trouvé passionnant. Du silence m’interpellait beaucoup pour son titre, son sujet, évidemment. Je ne sais pas pourquoi, mais je l’ai rangé directement dans la bibliothèque sans l’ouvrir. Il m’a suivi patiemment dans mes déménagements, je l’observais de temps en temps, lui, sa large tranche bleu vif et son titre, toujours aussi évocateur. Et puis il y a quelques semaines, quand il m’est soudain apparu que j’étais en train d’écrire un livre qui parle notamment de silence, ouvrir enfin ce livre est devenu un impératif. Alors je l’ai cherché partout, j’ai fouillé les rayons de nos bibliothèques pas encore rangées, et je m’y suis plongée. Avec le bonheur que j’avais imaginé, ce plaisir à venir que je chérissais depuis tout ce temps. Ce livre se promène partout où le silence se glisse, habité de plein de références littéraires intrigantes (et voilà, déjà deux nouveaux livres achetés : L’exil et le Royaume de Camus, et Le silence de Nathalie Sarraute, je continue mon petit chemin).

Le second appartient à Martin Il est donc dans notre bibliothèque commune depuis 6 ans. Je l’ai repéré il y a déjà deux ou trois ans en passant devant, il interpellait mon regard à chaque fois, d’autant plus depuis que l’on a croisé Olivier Bleys un soir à Bordeaux (quand c’est possible, j’aime rencontrer les auteurs et lire leurs livres ensuite car on lit différemment). Mais je ne l’avais jamais ouvert. Et puis l’autre jour, dans le couloir qui relie nos deux bureaux où est désormais installée notre bibliothèque, je suis repassée devant. Je ne sais pas pourquoi mais cette-fois ci je l’ai sorti de son rayon et j’ai commencé à lire les premiers paragraphes. Et j’ai découvert que Le plafond de verre était en parfaite résonance avec le roman que je suis en train d’écrire que je commence à terminer (et qui ne parle donc pas que de silence). Je le savais, mais j’avais oublié que je le savais. C’est un bel essai autobiographique sur le rapport complexe et parfois paradoxal que les pauvres entretiennent avec la richesse, sur la manière dont les plus aisés maintiennent subtilement (ou non) leur entre-soi. Et dès les premières pages, il y a quelque chose d’offensif qui est réjouissant.

Ces deux livres font partie de la bibliothèque depuis longtemps mais ils viennent seulement d’entrer dans ma vie. Parce que le moment de les lire est venu. J’aime cette idée qu’une bibliothèque ne soit pas qu’un amoncellement de livres lus : ce sont aussi des provisions pour le futur, de la nourriture pour les envies à venir. Comme avoir un frigo ou un placard bien rempli rassure certains, avoir une bibliothèque pleine de plus de livres que je ne pourrai sans doute jamais en lire, me réconforte.

2 réflexions sur “La vie intérieure des bibliothèques”

  1. Hello Coline
    très intéressante, cette note sur le silence, je vais aller feuilleter le plafond de verre.
    Bises
    Dalibor

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