Tribune autour de la genèse du roman Ma fugue chez moi, publiée sur la webrevue Le off des auteurs
Je ne sais jamais de quoi va parler un livre avant de l’écrire. Je crois écrire sur un sujet, sur une idée et finalement, les vraies questions, les vrais enjeux n’apparaissent que bien plus tard. Ils couvent certainement dans le terreau de l’histoire mais je ne le sais pas encore lorsque je me plonge dans le roman. En fait, on n’écrit jamais un livre surquelque chose, sur un thème, sur une forme littéraire – sur la fugue, sur la famille, sur la difficulté à parler et à être écouté quand on n’a pas les mots, sur la solitude terrible de l’adolescence, sur le harcèlement –, on écrit un livre qui prend corps dans une de ces situations et qui se nourrit de toutes ces interrogations. Mais il y est toujours question d’autre chose, et surtout : jamais de ce qu’on voulait dire.
Je voulais écrire une histoire de fugue, et c’est un livre sur le retour.
Je pensais écrire un livre de fuite, et il est surtout question de résistance.
Je croyais faire un livre immobile et introspectif, et c’est un livre d’aventure et de survie.
Je pensais faire un livre où il ne se passe rien et on me parle de son suspense.
Je pensais faire un livre silencieux et c’est un livre bavard.
Je pensais écrire une histoire solitaire, et c’est une histoire peuplée de personnages secondaires.
Ce livre m’a échappé. C’est une bonne nouvelle lorsqu’un livre échappe à son auteur, lorsqu’il se dérobe à son contrôle et à sa volonté. Car c’est à ce moment qu’il trouve son identité et se met à exister. Un livre n’est pas un meuble, on ne le fabrique pas à partir d’un plan ou d’une notice de montage, il n’est pas fait de ce qu’on a voulu dire, de ce qu’on a voulu écrire, il est fait de ce qu’on a découvert sur nous-mêmes.
Ma fugue chez moi n’est pas le récit d’une fugue, il est le récit de son écriture : de ce que l’on découvre sur soi quand on se décale d’avec la réalité – en écrivant ou en fuguant.