Quand j’ai commencé à écrire, adolescente, je détestais les dialogues, je ne savais pas écrire des dialogues, j’étais vraiment nulle en dialogues, je n’étais à vrai dire pas très loin du “- Bonjour ! – Bonjour ! – Ça va ? – Ça va et toi ?” de certains collégiens que je fais écrire maintenant, alors je n’écrivais presque pas de dialogues. Le minimum nécessaire. Jusqu’à il y a peu, j’ai même orienté toute mon écriture en fonction de ça, je racontais des histoires très introspectives où il ne se passait rien et je mettais en scène des personnages très seuls. Mon complexe a duré longtemps : mes trois premiers livres mettent encore en scène des personnages solitaires, qui n’ont pas ou peu d’amis.
Et puis j’ai découvert le scénariste Aaron Sorkin, j’ai regardé ses films et ses séries. Je les ai même regardées plusieurs fois, je les ai écoutées, décortiquées, j’ai lu des interviews (en ce moment, je regarde sa masterclass) et j’ai soudain compris plein de choses sur les dialogues. J’ai appris à écrire des dialogues comme de la musique, j’ai appris à mélanger plusieurs conversations en une, à ne pas toujours répondre aux questions que posent les personnages (ou alors à côté, ou plus tard), et à chercher à me surprendre moi-même.
Maintenant, j’écris des livres truffés de dialogues et je me régale à le faire. Je viens de terminer un roman pour enfants avec un groupe de quatre personnages – chose que je n’aurais jamais imaginée faire il y a à peine quelques années – , et je commence un texte pour adolescents qui met en scène un binôme.
C’est étonnant comment nos incapacités dictent ce que nous écrivons, ce que nous faisons. J’écrivais peu de dialogues parce que je ne sais pas parler, je mettais en scène des personnages solitaires car je suis solitaire et peu douée pour les relations sociales, Je croyais qu’on ne pouvait écrire que ce qu’on savait être, mais j’ai compris que ne pas savoir parler ne faisait pas forcément de nous de mauvais dialoguistes. Surtout, j’ai compris que l’écriture, ce n’était pas tenter de se mettre à la hauteur de la médiocrité de la vie réelle (et de nos discussions de la vie réelle), mais c’était la transcender, donner à la vie réelle des objectifs et de l’ambition.